Peu de temps après l’arrivée des Eudistes à Church Point en 1890, le père Richard qui était à l’affut de tout ce qui pourrait être bénéfique à sa paroisse, était entré en contact avec eux. Il voyait en cette congrégation en recherche d’un refuge dans l’orage anticlérical qui montait en France, la réponse de la Providence à la défense des droits des Acadiens. Nous scruteros ici les relations entre le père Marcel François Richard et les Eudistes durant le quart de siècle qui s'étend de leur arrivée en Acadie, en 1890, jusqu’à la mort de Mgr Richard, en 1915. Ce dernier, qui devint Prélat domestique de Pie X en 1905, plaçait en eux beaucoup d’espoirs, mais ses attentes ne cadraient pas toujours avec les buts que poursuivait la communauté. Ceci fut source de bien des tensions, surtout après l’arrivée des Eudistes à Rogersville en 1902.
Énumérons d'abord quelques unes des attentes qu'avait père Richard face aux Eudistes: |
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Vers 1880, de nombreuses communautés religieuses de France qui voyaient grandir la menace anticléricale au sein du gouvernement français, se mirent activement à la recherche de refuges dans des pays qui leur permettraient de s’épanouir. L’Acadie répondait merveilleusement bien à leur besoin : la population était presqu’entièrement catholique, et était de langue française.
En huit ans seulement, sans compter quelques établissements dans la province de Québec, ils avaient fondé trois œuvres majeures aux Provinces maritimes :
En 1902, il devint clair que la communauté serait assurément chassée de France. C’est alors que, parmi d'autres fondations en Amérique du Nord, ils ouvrirent à Rogersville une maison de missionnaires : une oeuvre qui accueillerait quelques-uns des exilés.
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De son côté, le père Richard était à corps perdu dans ses combats. Il n'avait jamais abandonné l'espoir de voir renaître un jour, sous une forme ou sous une autre, le collège de St-Louis, fermé depuis 1882. Depuis ce jour, il était en lutte contre son évêque, Mgr Rogers. Nommé curé de Rogersville en 1885 au plus fort de la famine que subissaient cette colonie et d'autres colonies environnantes, il avait réussi à les sauver de la ruine, en s’endettant lui-même. Durant cette période difficile, il avait fait construire à Rogersville, une église qui faisait l'envie de bien des paroisses. Il s'était vu refuser par son évêque, la permission de participer à la convention nationale de la Baie Ste-Marie en 1890. En septembre 1891, il était entré en procès contre son évêque à la cour ecclésiastique de Rome. Ayant perdu ce combat, il s’était soumis à la décision de Rome. Depuis des années, il était en lutte pour obtenir du Saint siège, un évêque qui puisse répondre aux aspirations du peuple acadien.
Rien n'était trop bon pour sa paroisse. Selon le recensement de 1901, Rogersville ne comptait que 1700 âmes. Ce petit village accueillit quand même quatre des nombreuses communautés religieuses chassées de France : les Trappistes et les Eudistes, en 1902, puis les Trappistines et les Filles de Jésus, en 1904. Dans le domaine matériel, comme il l'avait préconisé aux premières conventions nationales acadiennes, il travailla sans relâche à la colonisation. Il encouragea ses paroissiens à réclamer les terres que leur offrait le Free Grants Act de 1872, et lutta de toutes ses forces à les protéger des abus des profiteurs sans scrupules qui géraient ces programmes. |
La troisième Convention nationale des Acadiens, réunie à Church Point, du 13 au 15 août 1890, s’était penchée principalement sur le thème de l’éducation en langue française des Acadiens et Acadiennes de la Nouvelle-Écosse. La principale résolution votée, bien timide encore, fut la suivante : « La convention acadienne décrète qu'il est désirable que dans toutes nos écoles, soit primaires, soit secondaires, académies ou collèges, couvents ou pensionnats, la langue anglaise soit enseignée concurremment avec la langue française, mais qu'en autant que possible la langue de l'enseignement soit le français. »
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Ni Mgr Cornelius O’Brien, archevêque de Halifax, ni les congressistes, n’étaient au courant que, précisément ce 15 août 1890, au moment même où se déroulait la convention, le père Gustave Blanche avait reçu de son supérieur général, l'obédience de se mettre à la disposition de Mgr O’Brien, pour la fondation d’un collège dans le diocèse de Halifax. C'était le résultat d'années de démarches par l’évêque et par un groupe de prêtres acadiens auprès de nombreuses communautés religieuses. Les Eudistes avaient relevé le défi, mais un courrier égaré avait failli faire rater l'entente. Mgr Cornelius O'Brien -->
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La semaine dernière, j’ai reçu du curé de Rogersville (NB) une lettre fort aimable pour me dire combien il prenait intérêt à notre œuvre, et pour le prouver, il m’offrait pour l’an prochain un jeune instituteur âgé de 24, diplômé pour la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, intelligent et pieux… Je lui répondis que j’acceptais et que tout en apprenant le latin, il aurait une occupation dans l’École. Pendant ce stage, j’étudierai sa vocation.
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Le jeune homme en question était Patrice-Alexandre Chiasson, de Pleasant Ridge, dans la paroisse de Rogersville. Il était né à Grand-Étang, en Nouvelle-Écosse. Olivier Chiasson, son père, avait été attiré à Rogersville par l'invitation générale du père Richard à tous les colons des Maritimes en quête de terres. Patrice obtint son brevet d'enseignement de l'École normale de Fredericton, et obtint également un brevet d'enseignant pour la Nouvelle-Écosse. Il allait se faire Eudiste, enseigner à Church Point, puis en devenir le supérieur. Il allait être sacré premier évêque acadien du diocèse de Chatham, plus tard réaménagé à Bathurst.
<-- Mgr P.-A. Chiasson |
Dans sa lettre de remerciement au père Richard, Blanche écrivait, le 29 mars 1891 :
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Depuis que j’ai été chargé par la Providence de notre mission à Ste-Marie, j’avais le plus vif désir de faire votre connaissance. L’ouvrage de M. Rameau et d’un Mr Fabre de Paris, que j’avais vu à mon départ de France m’avaient mis au courant de vos tentatives et des difficultés et des oppositions qui vous étaient venues d’où on n’aurait jamais pu les attendre. Poursuivant le même but, j’aurais été heureux de causer avec vous, recevoir vos conseils, mais notre affaire a marché avec une telle rapidité, et depuis mon arrivée à Ste-Marie, je suis si absorbé par cette fondation et par les classes que j’ai ouvertes dans le presbytère, qu’il m’a été impossible de mettre mon projet de visite à exécution, mais ce n’est que partie remise, et si vous avez, mon cher père, occasion de visiter nos parages, soyez bien persuadé que vous me feriez le plus grand plaisir.
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Un dialogue venait de s’établir, et une amitié de naître. Le père Richard avait trouvé un confident, et à travers Blanche, un appui solide auprès du père LeDoré, supérieur général de la congrégation des Eudistes. Blanche invitait son supérieur à se familiariser avec l’histoire de l’Acadie, en lisant Rameau de Saint-père. Il l’encourageait de plus à rencontrer le père Biron, qui après la fermeture du collège de Saint-Louis, était retourné à Paris.
Dans la lettre du 29 mars 1891 citée plus haut, il demande conseil au père Richard au sujet de la question de la langue au futur collège. Nouveau au pays, il veut éviter tout faux pas. La crainte était fondée, comme le démontreront les difficultés des débuts du Collège Ste-Anne. |
La marque d’intérêt que vous me donnez et dont je vous suis profondément reconnaissant, m’engage à vous demander si vous ne connaitriez pas un anglais, bon professeur et que je pourrais prendre en toute sécurité. Nous sommes actuellement trop français [souligné par Blanche] et les ennemis de notre œuvre, on en a toujours, nous accusent de n’avoir pas un anglais parmi nous, or, j’aimerais, vous le comprenez, à ne pas donner l’an prochain, prise à ce reproche.
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Note:
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Les photos de Mgr O'Brien et du père Blanche du domaine public (Wikipedia), celle du père LeDoré, des archives des Eudistes, et celle de Mgr Chiasson, des archives du diocèse de Bathurst
La plupart des documents cités proviennent des archives du Centre d'études acadiennes de l'U de Moncton. Certains sont des originaux, d'autres, des photocopies d'originaux ou des transcriptions. |
Les attentes que le père Richard plaçait sur les Eudistes comme défenseurs de la culture, de la langue et des droits des Acadiens, étaient bien reçues de Blanche qui était confronté quotidiennement à ces questions. Les fréquentes communications que Blanche entretenait avec son supérieur général rendaient ce dernier favorable aux projets du père Richard, qui pensait trouver chez les Eudistes un appui ferme aux revendications des Acadiens. Leur arrivée en Acadie, croyait-il, était la réponse de la Providence à ses prières :
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… il me semble que l’Acadie est assez grande et assez digne pour recevoir toute l’attention possible des enfants de notre mère patrie. Ce que la France n’a pas pu ou voulu faire au seizième siècle, ne pourrait-elle pas réparer ses tords (sic) au dix-neuvième. Déjà, la ‘cognée est à la racine’ et ce sont les pères Eudistes Français qui me paraissent les hommes de la Providence pour notre population (26 décembre 1895).
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Si le père Richard était bien accueilli par LeDoré et Blanche, le support des Eudistes à ses projets était loin d’être unanime. On peut s’en rendre compte dès ses premiers contacts avec le père Cochet, supérieur du Séminaire de Halifax en 1896, et plus encore par les lettres du père Jean Levallois, lorsqu’il deviendra provincial des Eudistes. La cause de ces réticences, comme nous le verrons plus loin, c’était le nationalisme du père Richard, et ses démarches pour l’obtention d’un évêque acadien : démarches qui auraient pu entraîner des représailles de l'épiscopat, et mettre en péril les œuvres eudistiques encore jeunes et frêles.
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Déjà, le 29 mars 1891, Blanche avait écrit à Richard :
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Cinq ans plus tard, les relations du père Richard avec Mgr Rogers s’étaient tellement détériorées que chancelant sous le poids de l’opposition systématique de l’évêque, il en était venu à réévaluer plus sérieusement ses options pastorales. Le 26 décembre 1895, il écrivait à Blanche : « Vous êtes bien bon de vous occuper du pauvre prisonnier de Rogersville. ‘Béati misericordes’. J’aimerais visiter le Collège Ste Anne pour bien des raisons; je serais même tenté d’y demeurer, si le St Esprit pouvait souffler assez fort pour diriger ma barque dans cette direction. » Il réitère son désir de se joindre aux Eudistes dans de nombreuses autres lettres.
Comme s’il voulait se créer une zone tampon pour se protéger des contacts directs avec Mgr Rogers, il revient sur le sujet dans une autre lettre en date du 23 janvier 1896 : |
… Il me semble que je puis encore rendre quelques services à la religion et à l’Acadie, et dans la condition présente, je me sens paralysé tout à fait. Non pas que je désire avoir ma volonté et me soustraire à l’autorité, mais avec l’aide et la coopération de personnes ayant à cœur l’avancement et le progrès du pays, il me semble qu’il y aurait moyen d’accomplir beaucoup…
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Pour comprendre la position des pères Eudistes qui, par prudence, désiraient éviter de s’embarquer dans les combats nationalistes que menait le père Richard, il faut situer dans le temps l’évolution des œuvres des Eudistes en Acadie.
En 1895, le collège Ste-Anne n’était encore qu’une fraîche pousse. Pour leur survie en Amérique, le recrutement et la formation de nouveaux sujets étaient de première importance. Ils demandèrent à Mgr O’Brien la permission d’ouvrir un scolasticat pour la formation de leurs sujets. L'une des œuvres privilégiée des Eudistes était la gestion de séminaires. Jusqu'alors, la formation des séminaristes des Provinces maritimes se faisait au Grand séminaire de Montréal. Mgr O'Brien voyait que la création d'un séminaire dans son propre diocèse aurait des avantages évidents : les séminaristes n’auraient pas à voyager aussi loin pour recevoir leur formation; les programmes offerts pourraient être mieux adaptés aux besoins locaux; et la création d’un séminaire bilingue permettrait aux séminaristes anglophones de recevoir leur formation dans leur propre langue. En accordant aux Eudistes d'ouvrir un scolasticat, Mgr O'Brien leur demandait également de voir à la formation du clergé de l'archidiocèse. C’est ainsi que fut fondé le séminaire de Halifax. Les Eudistes ne tardèrent pas à se gagner la confiance de l’épiscopat entier des Maritimes. La direction du séminaire les mettait en contact avec tous les évêques de l'archidiocèse, mais plus particulièrement avec l'archevêque de Halifax avec qui ils étaient en étroite relations presque quotidiennes. Aux Maritimes, l’épiscopat était entièrement de langue anglaise, et comptait le demeurer, malgré les demandes répétées du clergé francophone depuis des décennies. Les droits des francophones accordés par l'Acte de Québec de 1774, affirmaient-ils, ne s'appliquaient qu'au Bas-Canada. C'est ainsi que l'épiscopat des Provinces maritimes embrassait la position qu'allait énoncer Mgr Bourne, au Congrès eucharistique de Montréal en 1910 : |
… if the mighty nation that Canada is destined to become in the future is to be won for and held to the Catholic Church, this can only be done by making known to a great part of the Canadian people in succeeding generations, the mysteries of our faith through the medium of our English speech. In other words, the future of the Church in this Country, and its consequent reaction upon the older countries in Europe, will depend to an enormous degree upon the extent to which the power, influence, and prestige of the English language and literature can be definitely placed upon the side of the Catholic Church.
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Ainsi, en 1896, lorsque le père Cochet accompagna le père Blanche chez Mgr Rogers, à Chatham, pour obtenir l'admission des Eudistes dans ce diocèse, le séminaire n’avait pas encore un an : son existence était encore très précaire. Il est facile de comprendre que les menées patriotiques du père Richard et des autres militants qui soutenaient son combat pour l’obtention d’un évêque de langue française et d'autres droits des Acadiens, aient été cause d'alarme pour les Eudistes, et les aient incités à la prudence. Fallait-il risquer de se mettre à dos l’épiscopat, et de mettre en péril les œuvres du collège de Ste-Anne et celle du séminaire? De là, la réaction de Cochet : « Il n’est pas question d’en faire un Eudiste. »
Cette lettre du 21 février 1908 de Jean Levallois à LeDoré illustre encore plus clairement la prudence des pères qui avaient enseigné au Séminaire, ainsi que des prêtres qui y avaient reçu leur formation. |
... Ce choix de Rogersville comme centre ne paraît donc pas réalisable. J’ajoute, mon Révérend Père, qu’il ne paraît pas même désirable. Ce serait, ostensiblement, faire de notre Congrégation une Congrégation acadienne. [Le gras ainsi qu'à la dernière phrase de cette citation est de nous.] Ce serait épouser la querelle des Acadiens contre les Irlandais, et favoriser une guerre de race. Entrer à l’heure qu’il est, dans une pareille voie, mon Très Révérend Père, ce serait exposer à une ruine à peu près certaine nos œuvres déjà existantes, et nous condamner pour l’avenir à l’impuissance et À LA STÉRILITÉ.
Ce serait, dis-je, exposer nos œuvres déjà existantes à une ruine à peu près certaine, car ce serait indisposer contre nous les évêques des Provinces Maritimes, et alors que deviendraient Church Point, Caraquet, Rogersville et Halifax? Nous n’avons pas une seule maison dans les Provinces Maritimes qui puissent prospérer sans la bienveillance épiscopale. Ce serait aussi nous condamner à l’impuissance et à la stérilité pour l’avenir. Nous avons dans les Provinces Maritimes tout ce qu’il nous est possible en ce moment d’y avoir au point de vue français. Le seul avenir possible est parmi les populations de langue anglaise : là, il y a immensément à faire. Or si nous devenons une Congrégation exclusivement acadienne, où trouverons-nous des sujets anglais? Les quelques sujets anglais que nous avons seraient-ils bien encouragés à nous rester fidèles si nous négligeons les intérêts de leurs compatriotes? Et puis, si nous n’entreprenons pas d’œuvres anglaises, à quoi bon essayer de fonder un juvénat en Angleterre? Il me semble, Mon Très Révérend Père, que nous devons rester au-dessus de ces questions étroites et irritantes de nationalité et de race, et être prêts à travailler partout où il y a du bien à faire. C’est cette ligne de conduite qui nous a permis de réussir jusqu’à présent. Il y a longtemps, sans cela, que nous n’aurions plus au séminaire ni anglais ni acadiens. À cette occasion, permettez-moi de vous dire, mon Très Honoré Père, un mot de Mgr Richard. Il faut avouer que jusqu’ici il a fait assez peu pour nous. Nous lui payons, et largement, le terrain sur lequel nous avons bâti. C’est sans doute un prêtre zélé, et qui fait beaucoup de bien. Mais le jugement chez lui n’est peut-être pas à la hauteur du zèle. Ses menées, à Rome, en ces derniers temps, sont diversement commentées. Ne faisons rien contre lui, mais ne le suivons pas non plus à l’aveugle. Il pourrait nous entrainer dans des situations fâcheuses dont il nous serait difficile de sortir. |
La position du père Lebastard, supérieur du collège de Caraquet était particulièrement délicate, comme le décrit Clarence LeBreton dans la courte biographie qu’il fait de lui dans le Dictionnaire biographique du Canada. (Clarence LeBreton, « LEBASTARD, PROSPER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 3 nov. 2018, http://www.biographi.ca/fr/bio/lebastard_prosper_14F.html. ) Il partage la prudence des pères du séminaire, mais, par surcroit, il subit aussi la pression de leaders acadiens.
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L’un des problèmes auxquels il a à faire face est la volonté des Acadiens, tels que Pierre-Amand Landry et Pascal Poirier, d’avoir un évêque de leur race, ce que leur refuse l’épiscopat irlandais. Pour Lebastard et les eudistes, qui doivent leur présence en Amérique aux évêques irlandais, la situation est délicate. En 1900, au moment du sacre de Thomas Francis Barry comme coadjuteur du diocèse, nomination que les Acadiens dénoncent, Lebastard écrit : « Nous tâchons de nous souvenir, nous Eudistes, que le silence est d’or. » II n’assiste donc pas à la cérémonie, prétextant de mauvaises conditions climatiques et l’inefficacité du chemin de fer. « Notre mission, écrit-il l’année suivante, est d’éviter toutes les imprudences qui pourraient compromettre I’œuvre.
<-- P. Prosper Lebastard |
La tenue de la Cinquième convention nationale acadienne au collège de Caraquet en 1905 ne fut pas de tout repos pour le père Lebastard. Mgr Barry, qui avait d'abord accepté de participer à la convention, se désista, dû à la présence de Pascal Poirier. Le sénateur y livra un discours assez virulent contre l'épiscopat des Maritimes, qui persistait à refuser un évêque acadien comme ils le demandaient depuis des décennies. Lebastard, qui avait été invité à devenir membre du comité exécutif, avait cru bon de refuser. Dans son compte-rendu de l'événement en date du 27 septembre 1905, il s'en expliquait ainsi auprès du père LeDoré :
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Pour ne point prendre une responsabilité à laquelle nous n’étions pas tenus et qui, dans les circonstances, aurait pu avoir de graves conséquences à cause de la question irlandaise toujours brûlante, j’ai tenu à ne point laisser mon nom, ni celui des Pères, figurer nulle part.
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Treize ans après la fermeture du Collège de St-Louis, père Richard n’a toujours pas perdu espoir de le voir renaître. Il possède encore les bâtiments du collège, mais ils sont situés sur des terres appartenant au diocèse. Il est en dette, il est vrai, mais outre ces biens, il a aussi un moulin à scie à Saint-Charles, et d’autres possessions à Rogersville. Le bilan est positif. Un plan prend forme dans sa tête. Il sonde d’abord le terrain auprès de son ami, le père Blanche, qui se fait son porte-parole auprès de ses supérieurs.
Entre décembre 1895 et février 1896, un échange de lettres entre les pères Richard, Blanche, LeDoré, et Cochet précisent ce plan. Père Richard propose de céder tous ses biens aux Eudistes. En retour, ils le recevraient dans leur communauté, et assumeraient ses dettes. Père Pelletier, curé de St-Louis étant à la veille de se retirer, les Eudistes demanderaient à Mgr Rogers leur entrée dans le diocèse, l’administration de la paroisse, et prendraient la direction du collège de St-Louis. Les propositions du père Richard sont alléchantes. Dans les procès-verbaux du Conseil général de la communauté du 12 février 1896, à Paris, on peut lire : |
Un M. Richard, fondateur du Collège Saint-Louis au Nouveau-Brunswick nous propose de se retirer chez nous en nous abandonnant cet établissement avec son actif et son passif. Il y a là une population d’Acadiens non moins intéressante que celle de la Nouvelle-Écosse, et cette province dépend de l’archevêché d’Halifax. Il y aurait lieu d’étudier la situation et d’accepter si les conditions sont bonnes.
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Père Richard se rend donc à Halifax rencontrer les pères Blanche et Cochet. Voici les premières impressions du père Cochet :
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C'est un géant, intelligent, actif, organisateur, mais entier dans ses idées. Il me fit une bonne impression...
Il nous exposa son histoire, son actif : $20,000., passif : $8,000... Il se proposait lui-même pour devenir Eudiste. Mais, vu son caractère, nous dîmes qu'il ferait mieux de rester prêtre séculier… … La pensée me vint que le mieux pour nous était d'aller immédiatement trouver l'évêque de Chatham officieusement: un passage de votre lettre du 29 janvier expliquerait notre démarche et nous servirait d'introduction. Le P. Blanche goûta cette idée, et le P. Richard en fut enchanté. Il fit une lettre adressée au P. Blanche, où il exposait son dessein de se défaire, en faveur d'une Congrégation, des biens qu'il avait, et qu'il ne conservait que dans l'intérêt du diocèse. [Cette lettre est contenue dans le dossier de correspondance rassemblé à droite] |
En effet, avec l’aide de père Richard, une rencontre exploratoire est organisée entre les Eudistes et Mgr Rogers. Tous s’entendent à dire que la présence du père Richard à la rencontre serait plus nuisible que bénéfique au projet. Blanche et Cochet se rendent donc seuls voir Mgr Rogers. Voici ce que raconte le père Cochet dans le rapport qu’il fit de cette rencontre :
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… Nous partîmes donc le mercredi (26 fév.) à 9h. Le P. Richard vint avec nous jusqu'à Rogersville, 2 ou 3 stations avant Chatham. Chemin faisant, il parla beaucoup, et me plus (sic) moins qu'au séminaire. C'est un prêtre très bon, très sobre, très dévoué, mais évidemment il a les défauts de ses éminentes qualités, et il n'y a pas lieu de penser à en faire un Eudiste.
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Déjà donc, dès 1896, et à sa première rencontre, l’approche du père Richard alarmait le père Cochet. Ce sentiment sera partagé par un grand nombre d’Eudistes, et rendra difficiles les relations entre le père Richard et la communauté. Le déroulement de la rencontre avec Mgr Rogers prit une tournure toute autre que celle escomptée. Mgr Rogers décela immédiatement l’ombre du père Richard dans cette démarche.
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Le P. Blanche parla de la lettre du P. Richard. L’évêque entra en colère : « Ne me parlez pas de cet homme, ni de ses affaires! Je ne veux pas m’en occuper! » [N. B. : Variante du P. Blanche : « J’en profitai pour parler de M. Richard… Il sauta presqu’au plafond, se fâcha, nous dit de ne point lui en parler, que ce prêtre avait contrarié toutes ses entreprises, qu’il lui avait reproché de ne point s’occuper des Acadiens, etc… » Tout semblait perdu. ]
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Si Richard n’avait pas oublié le collège de St-Louis, Mgr Rogers n’avait pas oublié non plus le collège St-Michael’s. Il demandait aux Eudistes d’en prendre la direction. Lorsque ces derniers firent valoir qu’ils n’avaient pas un personnel de langue anglaise suffisant pour assumer cette tâche, Mgr Rogers leur répondit :
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Ce n’est pas à St-Louis qu’il faut vous établir : c’est trop petit; mais à Caraquet. C’est la plus belle paroisse de mon diocèse. Il vous sera facile d’y avoir un petit collège français. Mais Chatham est la ville épiscopale : je voudrais que MON collège marchât, etc…
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Mgr Allard, de Caraquet, rêvait déjà d’y établir un collège, et les Eudistes pourraient y collaborer. De plus, situé à l’autre extrémité du diocèse, père Richard risquait moins de s’y ingérer. Comme pour jeter du sel sur la plaie :
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En revenant, nous vîmes le P. Richard. Nous lui dîmes qu'il devait rester à son poste et payer au plus tôt ses dettes. Nous l'engageâmes à donner alors une partie de son bien au diocèse, et de réserver l'autre pour les œuvres françaises diocésaines.
Nous devrons même ne pas paraître trop ses amis. |
Le coup est dur pour le père Richard. Le 20 mars 1896 Richard écrit à Blanche :
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Si je trouvais sur la route au Calvaire, quelque Simon Cyrénéen, pour m’aider à porter ma croix, ce serait bien, mais dans le cas contraire, il me faudra la porter jusqu’au bout, ou au moins jusqu’à ce qu’elle m’écrase.
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Dans la même veine, le 6 avril, il écrit à Cochet :
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... D’après une lettre de Mgr Rogers publiée dans le Miramichi Advocate,il y a lieu d’espérer que les pères Eudistes seront peut-être un jour soit à Chatham, Petit-Rocher ou à Caraquet, mais non à St-Louis. L’homme propose, et Dieu dispose. Il me sera difficile de trouver un Cyrénéen pour m’aider à porter ma croix, néanmoins, ‘Omnia cooperante in Domino. Non meam voluntas Domine sed tuam.’
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Le père Cochet eut à peine le temps de recevoir cette lettre : le 15 avril 1896, il mourut d’une crise cardiaque. Le séminaire de Halifax n'avait que huit mois à peine. Le père Cochet y sera remplacé par le père Jean Levallois.
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Dès ses premières démarches pour obtenir l'admission des Eudistes dans le diocèse de Chatham, dans une lettre du 26 décembre 1895 adressée au père Blanche, on peut lire un grand désintéressement qui ne s’est jamais démenti :
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Je vous donnerais mes biens, propriétés, tout ce que je possède, en un mot, si vous voulez assumer mes dettes et m’accepter moi-même. Cela vous donnerais (sic) pied à terre dans le Nouveau Brunswick et plus tard vous seriez à même d’y fonder une maison de votre ordre. Encore, si vous ne voulez pas de moi, je vous laisserais tout et je ferais mon chemin à mes frais... [Le format caractères gras est de nous.] J’ai beaucoup de propriétés, mais ne pouvant les utiliser au profit des œuvres nationales, parce que je n’en ai pas la liberté et la chance, je voudrais m’en défaire et payer mes dettes.
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On peut lire la grandeur d'âme du père Richard dans sa lettre du 20 mars citée plus haut, suite à la tournure que prirent les événements après l'échec de la rencontre des Eudistes avec Mgr Rogers. Tout en laissant percer sa déception, il redit sa volonté de mettre ses biens et ses énergies au service du diocèse :
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C’est bien; je n’ai aucune objection aux plans de l’évêque. Il a parfaitement raison à tenir [illisible] son collège à Chatham. Je lui aiderai si je peux à réaliser son projet. Si les pères Eudistes veulent entreprendre de réorganiser le collège Saint Michel, ils feraient une bonne œuvre. Un seul collège dans le diocèse de Chatham, à mon avis, serait suffisant, qu’il soit à Chatham où ailleurs. Quant à St-Louis, je n’y tiens pas fort [illisible] au collège. Si la Providence permet que Notre-Dame de Lourdes soit mieux honorée, plus visitée, à sa grotte, j’en serais content et cela seul me serait un grand dédommagement pour les sacrifices et dépenses faits dans cette paroisse. Le couvent encourage la dévotion à la Ste Vierge [illisible] et un petit juvénat organisé seraient une grande consolation pour moi; mais « non meam voluntas fiat. » J’ai fait part au père Pelletier de ma proposition aux pères Eudistes. Il semble décidé à abandonner le ministère actif avant bien longtemps, dans tous les cas je vais réfléchir, prier et ensuite je me déciderai à quelque chose. Si, par mes démarches faites, j’eusse contribué à fournir à Monseigneur Rogers des collaborateurs capables de lui rendre service et au diocèse, je serais grandement récompensé, même dans le cas où mes vues et intérêts en fussent nullement favorisés.
L’exposé de l’Évêque est, sinon satisfaisant, au moins modéré, en ce qui me concerne. Je pourrais à mon tour donner des explications à ce sujet, mais je n’en ferai rien. Je me réjouirai si mon vieil évêque, avant sa mort, peut arriver à la réalisation de ses plans, d’ailleurs fort légitimes. Je regrette ne pouvoir lui être de grande utilité, dans les circonstances où je me trouve, néanmoins je ne mettrai aucun obstacle à la réalisation de ses plans, tout au contraire, je les favoriserai autant que possible. |
Le père Marcel Tremblay, dans son petit historique du collège de Caraquet, 50 ans d’éducation : 1899-1949, souligne également le désintéressement du père Richard :
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Le grand patriote de l'Acadie, le futur Mgr Richard, dont une issue malheureuse de sa propre fondation à St-Louis de Kent n'avait abattu ni le courage, ni la détermination, a reporté tout son intérêt sur la fondation de son confrère, monsieur Allard. Une seconde fois, il joue le rôle d'intermédiaire et met notre Congrégation en rapport avec le curé de Caraquet...
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Lorsque le père Richard était curé de St-Louis, le diocèse lui fournissait le soutien de vicaires, étant donné le nombre d’églises qu’il avait fait construire, et l’étendue du territoire qu’il desservait. Après qu’il fut nommé curé de Rogersville, sa tâche était relativement allégée. La pénurie de prêtres ne permettait pas au diocèse de lui en fournir un. De nombreux dossiers dans lesquels il s’était volontairement engagé étaient du domaine des affaires, et non du domaine religieux. De plus, ses luttes pour l’obtention d’un évêque acadien allaient directement à l’encontre des visées de son évêque, et de tout l’épiscopat des Maritimes, et n’étaient pas de nature à disposer son évêque à lui en fournir un. L’arrivée des Eudistes à Rogersville lui offrait une solution alternative : il allait en négocier un avec la communauté.
Le père P. Pelletier fut son premier vicaire Eudiste, de 1902 à 1905. En passant, il ne faut pas confondre ce père Pelletier avec l’ancien curé de St-Louis. Le père Richard aurait voulu voir les Eudistes prendre charge de l’école de Rogersville. Comme nous l’avons vu plus haut, père Blanche avait accepté un compromis, en permettant que le père Pelletier enseigne le français quelques heures par jour, mais uniquement pour un temps limité, afin de permettre au père Richard de trouver une communauté qui se chargerait de ses écoles. Rogersville, au tournant du siècle, avait une population anglophone assez importante. Lorsque les Eudistes avaient accepté de fournir un vicaire au père Richard, ils n’avaient pu garantir des pères bilingues capables de prêcher et entendre les confessions en anglais. Le père Richard avait convenu de s’en charger. C’est pourquoi le fait que ni le père Pihan, qui fut vicaire en 1905-1906, ni le père Kerdelhué en 1906-07 ne pouvait parler l’anglais, n’avait pas causé de problème jusqu’alors. Mais en 1907, alors qu’il était à organiser son voyage à Rome, et qu’il allait s’absenter durant plusieurs mois, il fallait trouver un remplaçant qui pourrait le faire. Le père Richard s’étant adressé au père Levallois, qui était alors provincial, reçut cette réponse en date du 28 juillet 1907 : |
… Il est vrai que l’an dernier vous avec exprimé le désir d’avoir pour assistant un Père parlant l’anglais de manière à pouvoir entendre des confessions en cette langue. Mais vous savez que nous avons peu de Pères ayant une certaine connaissance de l’anglais, et les œuvres dont nous sommes chargés en occuperaient un plus grand nombre. Aussi quand il a été question de la fondation de la Résidence de Rogersville, ne nous sommes-nous point engagés à fournir un assistant capable de faire le ministère dans les deux langues; et vous-même, Monseigneur, qui connaissiez notre pauvreté à ce sujet, n’avez-vous point imposé cette condition. Bien au contraire, vous poussiez la condescendance jusqu’à parler d’aider quelque fois les pères, quand l’anglais serait nécessaire.
Ce point bien établi pour ne point engager l’avenir, je suis heureux, Monseigneur, de pouvoir vous donner un assistant qui, j’ose l’espérer, donnera pleine satisfaction à tous : le P. Étienne Régnault. Il est jeune, très pieux, très dévoué, comme on a pu le voir pendant les cinq mois qu’il a aidé le R. P. Crouzier, curé de Eel Brook (N.S.). Sa santé n’est pas très forte : néanmoins, elle lui a permis de faire tout le ministère de cette grande paroisse; et il est rentré à Ste-Anne plus fort qu’à son départ. Il sait l’anglais assez pour entendre les confessions, pas assez pour prêcher. Il n’est pas un orateur, mais il donnera au peuple des instructions simples et solides. J’espère donc, Monseigneur, que vous serez satisfait et que vous pourrez faire votre voyage sans être trop inquiet de votre paroisse. Je vous serai très reconnaissant de donner des instructions avant votre départ pour que le Père, quand il sera appelé aux malades, ait à sa disposition une voiture capable de le protéger de la pluie et du froid, autant que possible, car, comme je l’ai déjà dit, sa santé n’est pas très forte, et d’un autre côté, il est timide… |
Le père Méry qui était alors supérieur de la maison des missionnaires est heureux de compter deux pères qui peuvent missionner en anglais, et à l’occasion aider au père Régnault. Le 11 août 1907, il écrivait à son supérieur général : « … les prêtres de la région seront certainement heureux de trouver dans le Père Haquin un missionnaire anglais (sic) », et le 4 décembre, : « … Le P. Sébillet a eu de bons débuts. Les anglais sont fort contents de ses prédications. »
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Pour la bénédiction du Monument de Rogersville, le 15 août 1912, Père Régnault ( au centre de la dernière rangée), avait organisé la Société philharmonique de Sainte-Cécile. Père Piana, Prieur des Trappistes, en avait pris la direction.
Cliquez ici pour voir les personnes identifiées Le choix du père Régnault fut très heureux. Il sût se gagner la population. Au retour de Mgr Richard, il demeura son vicaire jusqu'à la fermeture de la maison. Pour témoigner de l'appréciation qu'on voulut lui témoigner, un petit établissement à environ deux kilomètres au nord-est de Rosaireville, le long de la route menant à Ste-Marguerite fut nommé Regnautville, en son honneur. |
En 1899, après dix ans de supériorat au Collège Ste-Anne, père Blanche avait été rappelé en France, pour y prendre la direction du collège Saint-Jean, à Versailles. Au cours de 1902, les forces anticléricales se faisaient de plus en plus menaçantes. Le père Blanche fut dépêché en Amérique du Nord du 9 août au 25 septembre 1902, pour y trouver des diocèses qui les accueilleraient, et des œuvres qu’ils pourraient entreprendre. Il sillonna les États-Unis, de la Louisiane à la Nouvelle-Angleterre, et même au lointain Dakota du Sud, où une œuvre Eudiste exista durant quelques années. Au Canada, il visita principalement la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et le Québec.
C'est sous Émile Combes surtout à partir de 1903 que le gouvernement français mit à exécution leur projet de sécularisation des communautés religieuses. Le 3 janvier 1903, Blanche écrivait à Placide Gaudet : |
Le 9 décembre, le gouvernement a demandé à la chambre des députés de refuser à notre congrégation l’autorisation d’exister en France. Par le fait il a prononcé notre condamnation, car à l’avance nous savons quel sera la majorité du Parlement. Notre sort est donc fixé. Seules l’époque plus ou moins rapprochée et les conditions plus ou moins odieuses de notre dispersion peuvent laisser subsister encore quelques incertitudes, quand la chambre se sera prononcé et je crois vers la fin de ce mois, toutes nos œuvres en France seront condamnées à la ruine et à la destruction. Tous nos biens meubles et immeubles seront confisqués. En 1793, on déportait, on guillotinait les religieux. Aujourd’hui sans décréter ni l’exil ni la mort, on les forcera à quitter la France ou à y mourir de faim dans l’inaction. Je préfère le premier [ mot illisible] et je suis heureux de revenir en Amérique.
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Les Eudistes se sentaient particulièrement vulnérables à cause de luttes antérieures menées pour la défense des droits des communautés, comme en fait foi cette lettre du père LeDoré à Mgr Rogers en date du 2 avril 1896 :
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En France, la loi militaire et les lois fiscales nous créent des situations bien précaires et bien difficiles. L'attitude que les circonstances m'ont amené à prendre dans les luttes des Congrégations religieuses contre la tyrannie du gouvernement, expose notre société à des représailles plus haineuses de la part des sectaires. Aussi devons-nous songer à trouver en dehors de notre pays des contrées plus hospitalières.
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Le Conseil général avait nommé le père Blanche visiteur extra-ordinaire, avec plein pouvoir de faire toute fondation qu'il jugerait désirable. C’est au cours de cette mission qu'il négocia avec Mgr Barry devenu évêque coadjuteur du diocèse de Chatham, et avec père Richard, qu'il connaissait depuis 1891, l’ouverture à Rogersville d’une maison de missionnaires.
Que serait cette maison de missionnaires? Ce serait une maison où les pères résideraient entre leurs missions de prédication, ou autres activités, pour y refaire leurs forces et préparer leurs prochains engagements. Guy Laperrière, dans Les congrégations religieuses: Au plus fort de la tourmente, 1901-1904, souligne que Blanche connaissait les réticences des pères des deux collèges canadiens existants aux nouvelles fondations, et comment ils voyaient d’un mauvais œil la fondation d’une maison de missionnaires à Rogersville. Blanche écrit dans son rapport au conseil général de l’institut : « Les PP. de Caraquet et de Church Point ne se prêtent pas avec complaisance aux fondations. Chaque maison ne pense qu’à soi, et l’on semble redouter l’arrivée des confrères. » Le père Basile Babin, archiviste eudiste à Charlesbourg, décrit comment les Eudistes de la première vague se montraient réticents à accueillir le renfort qui leur arrivait en 1903. On craignait que les nouveaux arrivants viennent à ébranler une équipe déjà organisée et étroitement liée. L'approche autoritaire du père Lebastard ne supportait pas facilement la critique. Au lieu de la création d'une maison de missionnaires, plusieurs pères auraient préféré voir les maisons déjà existantes abriter les missionnaires. |
Malgré ces réticences, la fondation de la maison des missionnaires fut quand même faite à Rogersville. Le 15 octobre 1902, le père Richard écrivait à Mgr Barry :
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… Letters received give the information that the Eudist Fathers will arrive here on the first days of next week, and the Trappists on the 28 inst. They say Your Lordship has kindly authorized their installation into the diocese… May I suggest to Your Lordship the idea of being present at the inauguration of the good work, to bless us all and the new foundations which your paternal solicitude and charity have so acceptably approved.
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À leur arrivée à Rogersville, les Eudistes prirent résidence dans l’ancien presbytère qui était situé au coin de la rue Principale, et la Rue de l’école actuelle (2018), sur le terrain qu’on appelait le terrain du pique-nique, car durant des décennies on y organisait le pique-nique annuel des fêtes du 15 août avant qu’il ne fût remplacé par le festival des choux de Bruxelle au cours des années 1960.
La fondation de la maison des missionnaires de Rogersville ne se fit pas sans heurts. La nature même semblait semer des embûches à l’œuvre nouvelle. Les Eudistes n’étaient pas sitôt arrivés qu’une épidémie de picote les immobilisa durant des mois, prisonniers de la quarantaine imposée par le conseil de santé. Dans une lettre, le 6 février 1903, père Blanche raconte : |
… J’ai quitté Church Point le 30 janvier et je me suis arrêté, en me rendant à Caraquet, à Rogersville. Cette fondation débute dans de mauvaises conditions et n’aboutira, je le crains, à rien. D’abord nos confrères sont arrivés au moment où a éclaté dans le pays une épidémie de picote. On s’en est beaucoup effrayé, et les mesures les plus énergiques ont été prises par le conseil de santé. Rogersville a été mis en quarantaine, l’église fermée, et défense absolue aux habitants d’en sortir. C’est au point que pour m’en aller j’ai été obligé de demander un certificat au médecin de l’épidémie pour pouvoir prendre le train. Aussi le village est devenu une prison pour nos Pères, qui se sont fort ennuyés.
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La première mésentente entre le père Richard et les Eudistes s'éleva au sujet du rôle que ces derniers joueraient dans les écoles de la paroisse. En les invitant à Rogersville, Richard avait pris pour acquis qu’ils se chargeraient de l’éducation des élèves de la paroisse, possiblement en y dirigeant un collège, ou du moins un high school. Même le père Blanche qui habituellement recommandait très fortement tous les projets du père Richard à son supérieur général se montrait plus nuancé, cette fois. Le 6 janvier 1903, il écrivait à LeDoré :
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… Où je prévois quelque difficulté c’est à Rogersville, car je crains que le bon curé n’ait accordé ce qu’il a donné que pour avoir ses écoles et faire concurrence à Caraquet, ce qui ne peut être admissible.
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… J’ai vu M. Richard et lui ai demandé clairement ses intentions. M. Richard voudrait à Rogersville un HIGH SCHOOL, c’est-à-dire une école supérieure, capable de donner une éducation commerciale aux enfants du pays, et il désirerait comme professeur le P. Chiasson et le P. Pelletier. Je lui ai répondu que son projet n’était pas possible, d’abord parce que nous ne pouvions pas établir une école qui viendrait nuire aux collèges de Caraquet et de Church Point; qu’en second lieu notre société ne s’occupait pas de l’enseignement primaire et qu’il m’était impossible de lui donner le P. Chiasson, qui exerce en ce moment une très heureuse influence à Church Point, et que je n’avais personne pour le remplacer. Il a très bien compris ces raisons et il m’a dit : "Je n’insiste pas, et je tâcherai de m’arranger autrement." La position des Pères, vous le comprenez, est difficile.
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J’arrive à l’instant à Rogersville, de ma visite à Caraquet où je suis resté 13 jours bloqué par la neige.
… Ce n’est pas que Rogersville soit une place que nous devons garder à tout prix, non; je vous en ai déjà dit un mot dans ma dernière lettre, et je vois de grands inconvénients; mais il ne faut pas s’emballer et renoncer immédiatement à un poste qui peut offrir un refuge à quelques confrères. Mais on [les Eudistes de Rogersville] n’a pas de patience : on voudrait une cathédrale pour prêcher et des pénitents à confesser toute la journée! Ce n’est pas possible. Déjà, il y a trois semaines environ, je m’étais arrêté à Rogersville et j’avais déclaré au curé que je ne consentirais jamais à un collège; que lorsque je lui avais demandé s’il nous accepterait dans sa paroisse, ce n’était que pour arriver à une fondation de missionnaires, et que nous n’avions consenti à envoyer le P. Pelletier que pour lui être agréable, et pour donner quelques leçons à des enfants que leur position de fortune ne permettaient pas d’aller au collège. Il comprit la chose et me dit : "J’y renonce". Pendant que j’étais à Caraquet, il est revenu sur cette question et m’a demandé combien je lui demanderais par an pour qu’il pût avoir le P. Pelletier comme vicaire et comme professeur de français 4 heures de classes par jour. Je lui répondis que sa proposition ne me paraissait pas acceptable, que notre Congrégation ne s’occupait pas d’enseignement primaire et qu’il ne fallait pas songer à donner suite à son projet d’école, et que je me proposais, en sortant de Caraquet, d’aller causer avec lui et trancher définitivement cette question. J’arrive, et malheureusement, il est bloqué par la neige dans une paroisse voisine depuis dimanche, et je ne pourrai le voir que demain. Je le regrette beaucoup, parce-que je comptais partir à minuit pour Chicoutimi… Le plus difficile sera de rompre avec le bon P. Richard après toutes ses bontés. |
Ces difficultés des premiers jours semblent s’être graduellement aplanies. Le père Pelletier était devenu vicaire du père Richard. Les autres pères s'adonnaient à leurs missions. Mais, à peine deux ans après sa fondation, des bruits au sujet de la fermeture de la maison de Rogersville circulent à nouveau, bruits que le père Lebastard alimente. Le 9 septembre 1904, Mgr Barry écrivait au père Richard :
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Please read place underlined in Fr. Lebastard’s letter. If the Eudist are leaving Rogersville they should notify you immediately as you are waiting for their letter. If the old presbytery is to be vacated (which I would regret) you should know it without delay so that you would be free to utilize it for the Sisters and new school. Return Fr Lebastard’s letter s.v.p.
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I am sorry I sent you Fr. Lebastard’s letter, but I thought I would render a service by doing so. I would ask as a great favor that nothing be said about this matter and not let on that you got such news from me. Fr Lebastard’s letter may have been private although not marked so. I would be very sorry to see the Fathers leave Rogersville and sincerely hope they will not leave. Let all this be 'sub sigillo' and nothing said about it.
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Your letter of to-day just received. I hasten to reply and return father Lebastard’s letter. I feel satisfied that the Fathers have no official notification of their proximate removal, though I did not approach them on the Subject.
I know well that both superiors of Caraquet and Church Point have never been in favor of the foundation of the Mission at Rogersville. They are rather in favor of having missionaries living in their respective Colleges. I would much have preferred never to have been asked by the Eudist Authorities to give hospitality to the members of their Congregation in Rogersville, since they now remove them without reasons which would justify such an abrupt action. The position is not changed. Nothing has happened to change conditions as far as I know… The Fathers here are happy, well pleased with the situation and make a confortable (sic) living. They will, no doubt, be desappointed (sic) at their removal. As father Lebastard is so very officious in giving the news, ever before Your Lordship and myself and also the Fathers here are officially informed of the sudden decision, it must be his victory, he so hastily desire (sic) to make known to all... |
I deem it my duty to inform your Lordship that the Missionaries here have decided to build a residence more convenient and suitable than the one they now occupy. They have secured a building lot. It is held under the name of Rev. Jean Levallois, Eudist of Halifax. It appears that the missionaries are doing well financially, for they are building at their own expense, not at the expense of the “Company"....
... As to the permission to built (sic), I have nothing to do with that. I have no objection to them doing so as far as personally concerned. I presume they are “en règle sous ce rapport”. |
Le détail suivant nous ferait sourire aujourd’hui! Le supérieur se plaint des coûts exorbitants de construction : « Il est difficile de trouver des ouvriers : il faut les payer au moins une piastre par jour! »
Le premier supérieur de la maison des missionnaires en 1902-03 fut le père Morin qui avait été le compagnon du père Blanche à l'arrivée des Eudistes en Acadie. Il avait également été le premier supérieur du collège de Caraquet. Le père Colin lui succéda en 1903, mais mourut durant l'année 1904-05. C'est sous le supériorat du père Tessier, son successeur, que fut construite la nouvelle résidence. Il fut supérieur jusqu'en 1907. Le père Méry qui le remplaça fut supérieur jusqu'en 1912. Le père Sébillet fut supérieur de 1912 jusqu'à la fermeture de la maison en 1914. Parmi les autres missionnaires qui résidèrent à Rogersville, on compte les pères Braud, Blondel, et Louis LeDoré. Les vicaires eudistes de Mgr Richard résidaient à la maison des missionnaires aux frais de la communauté. Un document non daté écrit après la fermeture de la maison, possiblement de la plume du père Braud, dresse une liste assez impressionnante des activités des missionnaires entre 1907 et 1914. Il énumère les prédications de retraites paroissiales, de Quarante-heures, de triduums, et de missions de tout genre dans presque toutes les paroisses du diocèse, mais également dans le reste des Provinces maritimes. Il parle de suppléances pour des prêtres en congé de maladie. Ces suppléances pouvaient parfois durer plusieurs mois. Les missionnaires prêchaient également les retraites annuelles et les récollections des communautés religieuses. En de rares occasions leurs activités pouvaient déborder les Provinces Maritimes, et s’étendre à la province de Québec, aux Îles de la Madeleine, et même jusqu’aux îles St-Pierre et Miquelon. |
L’évêque de Rimouski, Mgr Blais, très favorable aux Eudistes, se fit accompagner trois fois dans sa tournée pastorale de confirmation par deux Pères de Rogersville : une fois dans le Témiscouata, et deux fois dans la Gaspésie. Dans les tournées de Gaspésie, l’un des Pères devait pouvoir prêcher en anglais à cause d’une demi-douzaine de paroisses où la population était bilingue.
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C'est sous le provincialat du père Lebastard que la maison ferma ses portes en 1914, lors de la réorganisation des maisons du Nouveau-Brunswick. Le petit historique de la maison des missionnaires cité plus haut suggérait les causes de fermeture suivantes :
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Elle avait contre elle d’être dans un centre qui n’était même pas une petite ville, et qui n’offrait rien d’agréable comme résidence. (Bathurst, où la maison fut transportée dans ses dernières années, était un peu mieux sous ce rapport)
Comme elle était destinée, de par sa situation géographique, aux populations des Provinces Maritimes, on avait peu de chances d’être appelé dans la Province de Québec, où se trouvent les grands centres catholiques et où, par conséquent, on aurait pu avoir des auditeurs, croyait-on, plus choisis, et, au point de vue humain, plus intéressants. Il y avait bien aussi la question de l’anglais. On ne peut, si l’on veut réussir, se passer de l’anglais dans les Provinces Maritimes, et presque tous les Pères parmi les prédicateurs (au moins alors) ne le savaient pas, et, même s’ils avaient le désir, n’avaient ni la facilité ni la possibilité de l’apprendre. |
La première raison donnée me paraît peu fondée. Si tel eut été le cas, le transfert de la maison à Bathurst aurait dû régler le problème. Il n’en est rien, car deux ans après, toute activité des missionnaires avait cessé. Le travail des missionnaires se faisait dans les localités où ils étaient appelés. Le fait que le centre d’où ils rayonnaient se trouvât à Rogersville ou à Bathurst n’avait aucune influence sur l’efficacité de l’œuvre. Quant à l’accès au chemin de fer qui était à cette époque la presqu'unique manière d'atteindre les lieux où ils exerçaient leur travail missionnaire, la gare de Rogersville était située à peine à cent pas de la résidence.
La seconde explication n’a pas plus de poids que la précédente : le déménagement à Bathurst ne changeait en rien la population desservie. À leur arrivée en Acadie, les Eudistes avaient trouvé dans la population un champ d’apostolat "fort intéressant". Cette population aurait-elle tant changé dans ce quart de siècle depuis leur arrivée en Acadie? Les maisons de missionnaires, tant celle déménagée à Bathurst que celles de la province de Québec subirent le même sort que celle de Rogersville seulement quelques années plus tard. Quant à la troisième explication, en quoi le déménagement à Bathurst changerait-il la situation face à la langue? Il est vrai qu’au début, l’existence de paroisses bilingues et anglaises avait pu causer une surcharge aux quelques pères qui parlaient l’Anglais, mais après vingt années d’existence, le séminaire avait produit assez d’Eudistes bilingues pour solutionner ce problème de langue.La raison majeure que donne le document pour la fermeture de la maison de Rogersville, et l’abandon de cette œuvre après le déménagement à Bathurst, me parait plus près de la réalité : |
La grande raison, semble-t-il, de la fermeture de la maison a été le manque de missionnaires. De 1907 à 1912, il y eut trois missionnaires. En 1912, le P. Méry fut retiré et n’eut pas de remplaçants. Le P. LeDoré resta alors seul. [Il s’agit de Louis LeDoré, et non de Ange LeDoré, supérieur général.] Il ne pouvait aller longtemps, et il n’alla pas longtemps non plus. Ce fut la mort de la maison. Le Père Georges essaya dans la suite de lui redonner vie. Ce ne fut guère qu’un feu de paille. Cette fois, ce fut bien fini.
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Quel bilan peut-on dresser de ce quart de siècle de collaboration entre Mgr Richard et les Eudistes?
D’abord on pourrait parler de relation d’amitié que Mgr Richard entretint avec le père Blanche dès son arrivée à Church Point, et avec le père Régnault qui fut son vicaire de 1907 à 1914. Ils restèrent en communications même après le retour en France du père Régnault. Le père LeDoré, supérieur général, qui fit trois voyages en Amérique, avait également Mgr Richard en très haute estime. Le missionnaire-colonisateur que fut Mgr Richard avait fondé de grands espoirs sur l’arrivée des Eudistes en Acadie. Il les voyait comme la réponse de la Providence à ses prières et à ses luttes pour la défense des droits des Acadiens. Il rêvait de les voir ressusciter le collège de St-Louis et se charger des écoles de Rogersville. S’il se faisait Eudiste, que de bien ne réussirait-il pas à faire « avec l’aide et la coopération de personnes ayant à cœur l’avancement et le progrès du pays, il me semble qu’il y aurait moyen d’accomplir beaucoup… » Mais l’histoire est tissée de méandres capricieux, et un bon nombre de ces rêves ne se réalisèrent que partiellement, ou de manière différente que celle escomptée. Dès l’arrivée des Eudistes en Nouvelle-Écosse, les fondations de Church Point et du séminaire de Halifax leur valurent la confiance de l’archevêque, Mgr O’Brien et de tout l’épiscopat des Provinces maritimes. Si père Blanche et le supérieur général de la communauté étaient assez favorable aux projets de Mgr Richard, la prudence dictait à un bon nombre de pères de modérer leur support à Mgr Richard et aux causes acadiennes. On lui reprochait « les défauts de ses qualités »; on disait que chez-lui, « le jugement n’était pas toujours à la hauteur du zèle »; on voyait en lui « l’homme des grandes entreprises qui ne peuvent toutes aboutir, parce qu’elles ne sont pas assez réfléchies et sont trop multipliées ». On disait que « mieux valait ne pas trop paraître ses amis. » Pour toutes ces raisons, il n’était « pas question d’en faire un Eudiste. » Certains déploraient les conditions pitoyables offertes aux divers vicaires que la congrégation lui fournit. Certains pères refusaient même de reconnaître qu’il eut été un bienfaiteur pour la congrégation. Et pourtant, malgré le fait qu’on ne l’acceptât pas dans la congrégation, il aurait quand même accepté de donner ses biens aux Eudistes pour la réouverture du collège de St-Louis. Et une autre fois Mgr Rogers bloqua l’ouverture de ce collège. Bien que cela fut donner le coup de grâce à son collège, il n’hésita pas à faciliter la rencontre des Eudistes avec Mgr Allard, pour la fondation du collège de Caraquet. « Chaque maison ne pense qu’à soi! » déplore père Blanche au conseil général de l’institut en janvier 1903. Malgré ces tiraillements, et les frictions que peuvent comporter toutes relations humaines, les œuvres progressaient, et les conditions des Acadiens s’amélioraient. Les démarches de Mgr Richard pour l’obtention d’un évêque acadien aboutirent à la nomination de Mgr Édouard-Alfred LeBlanc à l’évêché de Saint-Jean, étape préparatoire à la création de l’archidiocèse de Moncton, une vingtaine d’années plus tard, et l'apparition d'autres diocèses francophones. Du côté des Eudistes, les collèges de Church Point et de Caraquet, ainsi que l’œuvre du séminaire de Halifax s’enracinaient et se développaient. Deux incendies détruisirent les collèges de Church Point et de Caraquet. Le juvénat que Mgr Richard aurait bien voulu voir à Rogersville et que père LeDoré avait considéré y construire fut plutôt logé à Bathurst. Lorsque vint le temps de reconstruire les collèges, celui de Church Point fut reconstruit sur place, mais celui de Caraquet fut temporairement transféré au juvénat de Bathurst. Cet édifice devait lui aussi tomber la proie des flammes en 1917. La vie de la Maison des missionnaires de Rogersville fut pour peu dire assez chaotique. Ceci n’empêche pas qu’à partir de ce centre, les missionnaires aient rayonné par toute l’Acadie et même au dehors, durant une douzaine d’années. La maison fut fermée en 1914, et l’administration fut transférée à Bathurst, mais la demande de missionnaires ayant diminué, cette œuvre fut abandonnée quelques années plus tard. S’il fut une époque charnière dans l’histoire de l’Acadie, elle se situe en plein dans la période que nous venons d’explorer. Ce fut l’époque des grandes conventions d’orientation nationale des Acadiens; le temps où les fils de l’Acadie réclamèrent leur tribune au parlement et au sénat; le temps où fleurirent collèges et universités d’où sortiraient de nombreux prêtres, religieux et religieuses, médecins, et professionnels de tous domaines; le temps où perça toute une phalange de leaders qui réveillèrent la fierté du peuple bafoué qui était à se relever; le temps où dut céder la forteresse d’un épiscopat qui bloquait systématiquement à tout prêtre non-anglophone accès à la dignité épiscopale; le temps de colonisation destiné à enrayer l’exode vers les États-Unis; temps où parurent les premiers journaux de langue française en Acadie. Et parmi les artisans de ces réalisations, Mgr Richard, ainsi que la communauté des Eudistes jouèrent un rôle de premier rang. |
Raconte-moi Rogersville...