Introduction
La création d’un chemin de fer reliant Halifax à Rivière-du-Loup et au reste du Canada était une condition essentielle pour que la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick joignent la Confédération. Ce fut le premier projet d’envergure réalisé par le Canada, ce nouveau Dominion créé le 1 juillet 1867. Neuf ans après, le 1 juillet 1876, l’Intercolonial Railway avait réalisé cette promesse.
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C’est durant la construction de l’Intercolonial Railway, en 1874, que Forest Station, qui allait devenir Rogersville, fut fondé. L’existence même de Rogersville dépend donc d’une série de décisions, dont la décision du tracé de cette voie ferrée. Nous allons ici prendre du recul, et voir comment les origines de Rogersville s’insèrent dans les grandes lignes de l’histoire du chemin de fer.
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L’exploitation de la vapeur comme source d’énergie est une des principales causes de la Révolution Industrielle, qui a transformé l’Europe et le reste du monde, vers 1750, et surtout au siècle suivant. L'une des applications les plus importantes de cette découverte fut le développement des chemins de fer ainsi que le transport des voyageurs et des marchandises : résultats que les créateurs eux-mêmes n’auraient su imaginer.
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Les progrès technologiques suivent rarement un développement rectiligne. Ils sont progressifs : une suite d’améliorations mineures à des idées ou à des outils existants. Un problème surgit, et sa solution a des répercussions sur l’ensemble. Les grandes percées ou sauts majeurs se produisent souvent lorsque se croisent deux disciplines différentes. Ce fut le cas de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, vers 1450, qui a été une des causes de la Renaissance. Là, des planches sculptées furent remplacées par des caractères métalliques réutilisables : un croisement entre les presses existantes et la métallurgie. Les effets de cette découverte ont rendu possible les progrès dans toutes les disciplines, incluant celle que nous considérons ici.
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D’une manière analogue, le dix-huitième siècle a vu combiner les mises au point qui se faisaient dans l’utilisation du rail pour guider les charriots du temps, d’une part, et la vapeur, source d’énergie utilisée dans les nouvelles machines à vapeur. Ces machines étaient d’abord stationnaires, mais avec le temps avaient évolué à la locomotive. Cette jonction du développement de la locomotive aux possibilités qu’offraient le rail a donné naissance aux chemins de fer modernes et a orienté l’évolution du monde que nous connaissons.
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L'avènement du rail
L’apparition de chemins guidés sous toutes ses de variantes s’est fait bien avant l’apparition de la locomotive. Parfois, il ne s’agissait que de chemin à ornières pour guider des charriots. Puis, on en vint à utiliser des rails, en bois d'abord. Puis, pour protéger ces rails, on en vint à recouvrir la surface d’une plaque de fer.
Pour prévenir le déraillement, deux systèmes furent utilisés. Un premier fut des rails à cornières. Il s'agissait d'un guide en métal, en forme de 'L' , fixé sur les rails en bois et qui empêchait les charriots de dérailler. Lorsque les charriots étaient muni de roues bridées , comme celles de nos trains d’aujourd’hui, c’étaient les roues elles-mêmes qui gardaient le train sur ces rails à surface plate. Puis, délaissant les rails en bois, on utilisa des rails entièrement en métal. Les premiers rails en métal furent en fer forgé. Ces rails avaient deux désavantages : Le fer forgé était plus fragile, et les rails cassaient plus facilement. De plus, la longueur de ces rails était limitée. Puis , avec l'arrivée du haut fournau, arrivèrent les rails en fonte, qui devenaient plus résistants au fur et à mesure que de nouveaux alliages étaient découverts. De plus, on pouvait produire des rails beaucoup plus longs. Les premiers chemins sur rails de fer furent utilisés dans les mines. Ces premiers chemins de fer étaient utilisés pour transporter le charbon ou des minérais des mines vers des barges où ils étaient transbordés. En 1802, Jessop exploita ce qu’on dit être le premier chemin de fer ouvert au public, le Surrey Iron Railway. Mais ce chemin de fer n’utilisait pas encore de locomotive. Les charriots étaient tirés par des chevaux. |
L'avènement de la locomotive
propriétés de l’expansion de l’eau passant de l’état liquide à l’état gazeux et sa contraction lors du processus contraire étaient connues depuis longtemps. Ce n’est qu’en 1712 que l’exploitation de cette propriété fut mise à profit, lorsque Thomas Newcomen créa la première machine à vapeur. De son vivant, plus d’une centaine de ces machines à vapeur furent installées en Angleterre. Elles servaient surtout à pomper l’eau des mines.
La machine de Newcomen n’était pas très efficace : à peine 25 % de l’énergie de la vapeur en était récupéré. James Watt, en 1763 améliora la machine de Newcomen en ajoutant une chambre de condensation séparée. En 1800, on comptait près de cinq cents machines à vapeur de James Watt en Angleterre. Cette invention a été l’un des principaux facteurs de la Révolution Industrielle. Mais la machine à vapeur de Watt était encore une machine stationnaire. Avant que n’apparaisse le chemin de fer, plusieurs améliorations devront encore être faites :
Vue animée d'une locomotive, par Panther
Pour voir explications du mouvement et provenance, cliquez sur : Source |
Ces améliorations ont été faites graduellement, par tâtonnements et essais multiples. En 1804, Richard Trevithick produisit la première locomotive à vapeur, mais elle était si lourde que les rails ne pouvaient la supporter. En 1812, le Middleton Railway utilise des locomotives construites par Murray et Blenkinsop, sur un chemin de fer à crémaillère. La locomotive est munie d’une ou plusieurs roues dentées qui viennent s’engrener sur un troisième rail qui lui aussi est denté. Le premier chemin de fer ouvert au transport de passagers fut le Stockton and Darlington Railway et date de 1825. Les wagons étaient tirés par une locomotive construite par George Stephenson . Durant de nombreuses années, les locomotives de Stephenson furent utilisées dans un grand nombre de chemins de fer, par exemple dans le Liverpool & Manchester Railway, ouvert en 1830. Par la suite, le développement dans le reste de l’Angleterre, puis dans le reste de l’Europe et en Amérique, se fit comme une trainée de poudre. Pour dire avec quelle rapidité se développaient les chemins de fer, même à l’extérieur de l’Europe, le Baltimore and Ohio Rail Road Company, aux États-Unis, est incorporé en 1827, et s’ouvre au transport de passagers et marchandises en 1832, sept ans à peine après le premier chemin de fer de Stockton and Darlington!
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1. Le chemin de fer Champlain et Saint-Laurent
Le Chemin de fer Champlain et Saint-Laurent fut le premier chemin de fer public au Canada. Ce chemin de fer fut financé en partie par John Molson, le propriétaire de la Brasserie Molson, de Montréal. La compagnie fut incorporée en 1832, et la ligne entre Saint-Jean-sur-Richelieu et La Prairie ouvrit le 21 juillet 1836. La longueur de cette ligne était de 12 kilomètres. Les rails étaient en pin de six pouces par six pouces, reliés par des joints en fer et des boulons. Le bois était protégé par une lame d’acier, fixée par des crampons. Les rails en acier ne furent installés qu’en 1850. La locomotive avait été construite par Robert Stephenson, le fils de George.
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2. Le Saint-Andrews and Quebec Rail Road
La Saint-Andrews and Quebec Rail Road Company fut formée au début des années 1830. Un groupe d’entrepreneurs de Saint-Andrews, au Nouveau-Brunswick projetaient un chemin de fer qui, espéraient-ils contribuerait à la colonisation le long de son trajet, faciliterait la communication avec le Canada, offrirait de la sécurité en temps de guerre, en facilitant le mouvement des troupes d’un bout à l’autre des colonies. Mais surtout, le fait que Saint-Andrews était un port ouvert à l’année ronde en ferait le point d’accès principal de tout le trafic commercial venant d’Europe. Saint-Andrews profiterait également de tout le commerce de l’est des États-Unis.
En 1836, un octroi de £10,000 avait été octroyé par le gouvernement Impérial pour faire l'arpentage d'une ligne qui rejoindrait par le tracé le plus direct, la ville de Saint-Andrews à Québec. La compagnie fut incorpérée cette même année et l'arpentage fut accordé au Capitaine Yule. L'arpentage ne révéla aucun obstacle physique important. Plusieurs frontières n'avaient pas été décrites très précisément par le traité de Paris de 1783. En 1833, avant qu'il ne soit question de chemin de fer, le Président américain était entré en pourparlers avec le Duc de Willington au sujet des frontières entre le Maine et le Nouveau-Brunswick. Le Président Andrew Jackson avait offert des conditions très avantageuses qui auraient pu être traitées à l'intérieur des termes du traité de Paris, mais Wellington insistait sur un nouveau traité. Le Président n'avait pas l'autorité de faire un nouveau traité sans l'assentiment du Sénat. La question était donc demeurée en suspens.
Mais présentment, ce chemin de fer était perçu comme une menace majeure par les états du nord-est des États-Unis. De plus, en 1837, l'Angleterre était aux prises avec les rébellions du Haut et du Bas-Canada. Elle ne voulait pas risquer d'entrer en conflit avec les États-Unis. C'est pourquoi les protestations américaines provoquèrent-elles la halte immédiate de tous les travaux sur ce projet. La question des frontières entre le Maine et le Nouveau-Brunswick ne fut résolue qu'en 1842 par la signature du traité Webster-Ashburton. Ce traité avait une portée plus vaste, couvrant tous les litiges entre les Colonies Britanniques et les États-Unies. Le traité accordait aux États-Unis presque les deux tiers du Maine actuel dans sa partie nord, plus précisément le territoire par où devait passer le chemin de fer projeté, et que le Nouveau-Brunswick considérait comme sien. Stanford Fleming consacre tout le deuxième chapitre de son rapport "The Intercolonial; a History : 1832-1876" à cette question des frontières. Dans ce rapport, il soutient que les colonies de l'Atlantique ont été abandonnées sans négociations véritables de la part d'Ashburton, et reproche à l'Angleterre l'envoi d'un négociateur non au courant de la situation des colonies qu'il était sensé défendre. Carte tirée de "The Intercolonial : a History; 1832-1876, par Stanford Fleming
Si s'évanouissait le rêve d'une ligne directe de Saint-Andrews à Québec, le projet ne fut pourtant pas abandonné. La raison principale qui lui fit perdre le soutien des gouvernements est que le tracé proposé était trop près des frontières américaines. Le chemin de fer se développa dans la direction de Woodstock, mais n’ atteint la province de Québec qu’en 1887. L’Intercolonial avait déjà été complété en 1876.
Si Saint-Andrews dut céder à Halifax l'avantage de devenir le principal port d’entrée aux colonies, et si la route de Saint-Andrews n’a jamais rapporté les revenus escomptés, ce n'est pas par la nonchalence des concepteurs de ce projet, mais bien à cause des aléas de l'histoire. Il est très plausible que Rogersville doit son existence-même à ces évènements. |
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La ligne Saint-Jean à Shédiac offrait un accès direct et rapide au transport des marchandises, qui autrement auraient dû être transportées par bateau et contourner la Nouvelle-Écosse.
Le 9 novembre 1872, la partie Est du réseau, ainsi que la Nova Scotia Railway furent intégrés à l’Intercolonial Railway. Les premiers essais de construire un chemin de fer qui relierait les colonies ayant échoué, et à défaut de pouvoir réaliser ce projet d’envergure, partout dans les colonies surgirent des chemins de fer, sans plan d’ensemble, au gré d’entrepreneurs locaux et à l’échelle des ambitions et des ressources économiques de chaque région. Un bon nombre firent faillite avant d’être complétés, d’autres ne survécurent que quelques années. Au moment de créer l’Intercolonial Railway, plusieurs lui furent incorporés. Au fait, pour justifier le choix d’un tracé plutôt qu’un autre, l’existence de tronçons déjà construits était un critère important. Le Nouveau-Brunswick, tout comme les autres se lança dans la construction effrénée de chemins de fer. Pour donner une idée de l’étendue et du nombre de lignes construites, uniquement sur le territoire du Nouveau-Brunswick, le site Train Geek en énumère plus de 200! Et que dire du développement de chemins de fer locaux en Nouvelle-Écosse, à l’Ile Saint-Jean, et au Canada! |
1. Chemins de fer militaires en Allemagne
Dès 1841, l’économiste allemand Friedrich List, parmi les raisons les plus importantes qui justifient le développement du chemin de fer en Allemagne, la raison de défense nationale parce qu’ils facilitent la concentration et mouvement rapide des troupes. De plus, il les voyait comme un facteur d’unification de la nation, lutte que Bismarck était à la veille d’entreprendre. Il faut se rappeler combien l’Allemagne d’alors était morcelée en petits états! Les campagnes de Schleswig-Holstein avaient montré l’insuffisance des chemins de fer danois.
Entre 1850 et 1882, on établit progressivement la liaison Berlin – Metz. Ce chemin de fer, dans le jargon militaire était un Kanonenbahn. Il devait rencontrer des normes très élevées : grand rayon des courbes, capacité de transporter des trains à des grandes vitesses (pour l'époque), et capacité de transporter du matériel très lourd. Le chemin de fer Berlin - Metz, et temps de guerre, servirait au transport de troupes et munitions du centre de la Prusse, jusqu’aux portes de la France. D'autres réseaux étaient déployés le long des frontières belges, et vers l'est, en direction de la Russie. |
2. Chemins de fer et guerre civile américaine
La guerre civile américaine avait démontré l’importance du chemin de fer. J. D. Morelock, dans sa présentation du livre Railroad generalship : foundations of Civil war strategy, écrivait : “ … theappearance of the steam-powered railroad had enormous implications for military logistics, and thus for strategy, in the American Civil War. Not surprisingly, the side that proved superior in “railroad generalship,” or the utilization of the railroads for military purposes, was also the side that won the war.”
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En marche vers l'Intercolonial
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1. Explorations du Colonel Holloway
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2. Explorations du Major Robinson
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Deux grandes idées se dégagent de ce qui précède. En premier lieu, dans les années 1860, les États-Unis constituent une menace aux Colonies de l'Amérique du Nord. Pour la protection de ces colonies, une union s'impose. La Confédération, aussi fragile qu'elle put être à ses débuts constituait cette union. En second lieu, aussi bien en Europe qu'en Amérique, le chemin de fer revet une importance qu'on ne peut ignorer : au point de vue militaire, la vitesse avec laquelle il permet de déplacer troupes et munitions en fait un outil ou une arme indispensable; au point de vue économique, il ouvre des portes aux échanges commerciaux, ainsi qu'au transport de la poste et des passagers. Dans la prochaine section, nous verrons les efforts déployés pour réaliser la liaison entre Halifax et le reste du Canada par ce qui deviendra le Chemin de fer Intercolonial
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Raconte-moi Rogersville...