Nous savons que les origines de Rogersville se situent durant les années 1870, lors de la construction du Chemin de fer Intercolonial. Mais avant d'entrer dans les détails de la fondation de ce village, et de ce qu'il est devenu, nous aimerions prendre un peu de recul. Un des objectifs de ce travail est de brièvement situer l'histoire de Rogersville dans la grande histoire de l'Améque du Nord, pour mieux comprendre d'où ses habitants tirent leurs racines. Si la grande majorité sont d'origine française, un nombre assez important, surtout durant les premières années étaient d'origine irlandaise ou écossaise. Ce survol nous apportera jusqu'aux années 1860, à l'aube de la Confédération.
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Les vastes terres de ce qui est aujourd'hui le Canada, et la Nouvelle-Angleterre furent depuis les premières explorations de Cabot, en 1497, et de Jacques Cartier, en 1534, mais surtout à compter des établissements du début du dix-septième siecle, convoitées par la France et par l'Angleterre. Entre ces premiers établissements et 1763, date ou la France céda définitivement ses colonies à l'Angleterre, certains territoires changèrent de mains plus de dix fois, non seulement à l’issue de conflits qui avaient lieu ici en Amérique, mais aussi au gré des conflits qui se passaient en Europe.
Ces colonies servaient souvent de monnaie de change dans les négociations que menaient les grandes puissances : la France, l’Angleterre, et l’ Espagne. C’est ainsi qu’en 1713, le traité d’Utrecht mettait fin à la Guerre de succession d’Espagne, une guerre strictement européenne. Par ce traité, la France cédait une partie de l’Acadie à l’Angleterre. Les Acadiens désiraient demeurer neutres, mais l’Angleterre craignait qu’en cas de conflits les Acadiens rejoignent leurs compatriotes. Ils exigeaient donc que les Acadiens prêtent serment d’allégeance à la couronne. Les Acadiens refusaient ce serment pour trois raisons principales : en cas de conflit, ils craignaient d’avoir à prendre les armes contre d’autres Français; ils voulaient rester fidèles à leur religion; ils ne désiraient pas la guerre, et désiraient demeurer neutres dans des conflits éventuels. C’est ce refus du serment d’allégeance qui allait finalement mener à la Déportation des Acadiens, en 1755. Durant la déportation, en 1756, éclata la Guerre de Sept Ans (1756-1763), un conflit majeur qui, d’une certaine façon préfigurait les guerres mondiales du vingtième siècle, tant par des combats qui eurent lieu dans divers continents, que par le nombre de pays qui y participaient, et par les alliances qui se formèrent. Par le Traité de Paris de 1763, où une autre fois, les colonies devenaient monnaie de change, la France cédait définitivement à l’Angleterre ses colonies françaises en Amérique du Nord. Les guerres prolongées avaient vidé les coffres de l’état français, et, sous l’influence de penseurs comme Voltaire, on en était venu à la conclusion que la défense et l’entretien de ces « quelques arpents de neige » n’en valaient plus la chandelle. La survivance de la culture et des institutions françaises en Amérique dépendrait désormais uniquement de la vitalité des habitants de culture française, et à leur détermination de préserver leur langue et leur foi. |
Dès après la signature du traité de Paris, le gouvernement de Londres ouvre aux Acadiens la possibilité d'un retour en Acadie, mais ces derniers doivent prêter serment d’allégeance à la couronne, et se voient dispersés par petits groupes. Ils ne retrouveront pas leurs terres. La remontée fut très longue et pénible, et ce ne fut que plus d'un siècle plus tard que leurs efforts de reconstruction commencèrent à porter fruit alors qu'apparurent des leaders tels que Mgr Richard, Armand Landry et Pascal Poirier.
En 1763, les colonies britaniques de l’Amérique du nord étaient au nombre de vingt : Terre-Neuve, la Nouvelle-Écosse, qui comprenait alors le Nouveau-Brunswick, l’Ile-Saint-Jean (Ile du Prince Édouard), la Floride de l’est, et la Floride de l’ouest, acquises de l’Espagne, le Canada, qui comprenait en gros le Québec et l’Ontario d’aujourd’hui, les Terres de Rupert, et les treize colonies de la Nouvelle-Angleterre. Bien que chacune de ces colonies fusse doté d'une législature qui s'occupait des affaires locales, ils relevaient directement du gouvernement de Londres. Selon l'époque et le dossier, ce pouvait être le Bureau des colonies (Colonial Office), le Bureau de l'intérieur, le Bureau de la guerre, ou la Commission du Commerce (Board of Trade). Nous utiliserons le Bureau des colonies sans plus de distinction. L’existence paisible de ces colonies allait être de courte durée, car en 1775, les treize colonies de la Nouvelle Angleterre se révoltèrent , et suite à la Guerre d'Indépendance (1775-1783) obtinrent leur indépendance de l’Angleterre. Le traité de Paris de 1783 mit fin à cette guerre. Les Patriots américains, durant la guerre d’indépendance avaient tenté, mais sans succès, d’annexer les autres colonies qui forment aujourd’hui le Canada. Ce rêve, comme nous le verrons, n’allait pas mourir avec la fin de la guerre d’Indépendance À l’issue de la Guerre d’Indépendance des États-Unis, de nombreux colons du nouveau pays qui étaient demeurés fidèles à la couronne, préférèrent partir vers d’autres parties de l’empire britannique. On les appelle les Loyalistes. Les provinces maritimes actuelles en accueillirent plus de 30,000. La région du Québec actuel en accueillit environ 2,000, et celle de l’Ontario actuel en accueillit environ 7,500 Leur influence fut très marquante sur la suite de l’histoire. En 1784, par exemple, la colonie du Nouveau-Brunswick fut créée à la demande des Loyalistes installés le long du fleuve Saint-Jean. Ils étaient insatisfaits du traitement que le gouvernement de Halifax leur accordait. L’arrivée de plus de 30,000 Loyalistes, dans la seule région de l’Atlantique eut l’effet d’un raz de marée, et allait perturber un équilibre qui était déjà très défavorable aux Acadiens. Ce sera une force contre laquelle les Acadiens auront à lutter tout au cours de leur histoire. |
Même s’il existait des échanges commerciaux substantiels entre les États-Unis et les colonies britanniques voisines, graduellement des tensions politiques commencèrent à se faire sentir, surtout à l’époque des guerres napoléoniennes en Europe. En 1812, ces tensions passèrent au conflit armé. Ce qui poussa les États-Unis à cette guerre peut se résumer ainsi :
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La Guerre civile américaine qu’on a appelé la Guerre de Sécession, ragea de 1861 à 1865. Officiellement, l’Angleterre et les colonies britanniques étaient neutres dans ce conflit mais il y eut des combattants de nationalité britannique qui supportèrent les Nordistes, comme il y en eut qui supportèrent les Sudistes. Toute division et conflit que pouvaient subir les États-Unis affaiblissait le jeune pays, et le rendait moins menaçant pour les colonies britanniques. C’est ce qui poussa l’Angleterre à supporter secrètement les Sudistes.
Un bon nombre d’incidents diplomatiques éclatèrent, dont l’affaire du Trent, et celle du Chesapeake. Le Trent, un navire britannique qui avait à son bord deux politiciens Sudistes fut arraisonné par l’USS San Jacinto. L’Angleterre s’y objecta naturellement. Le Chesapeake, un navire des Nordistes fut capturé par les Sudistes en 1863. Les Sudistes conduisirent ce navire à Halifax, dans le but de vendre la cargaison saisie, afin de se payer des armements, mais deux navires Nordistes recapturèrent le Chesapeake dans la baie Saint-Margaret, brisant ainsi la neutralité entre les États-Unis et la Grande Bretagne. Le commerce du coton avec les Sudistes était très lucratif pour les marchands d’Halifax, mais les Nordistes voyaient ce commerce comme un bris de neutralité. |
Vers la Confédération
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Les armées Nordistes ayant gagné la Guerre civile Américaine, la Grande Bretagne pouvait s’attendre à des représailles de la part des États-Unis. C’est pourquoi elle voyait une union quelconque de ses colonies comme un moyen de défense efficace contre une invasion de la part des Américains. Ces craintes n’étaient pas sans fondement, car, de fait, certains projets de loi avaient déjà été présenté au Congrès américain, tel ce Projet de loi sur l'admission des États de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, du Canada-Est et du Canada-Ouest, et pour l'organisation des Territoires de Selkirk, de Saskatchewan et de Colombie, présenté en 1866, mais qui n'a jamais atteint le sénat. Mais, pour l'Angleterre, la menace ne venait pas uniquement de l'extérieur. Il existait même au Canada des mouvements qui favorisaient l'annexation aux États-Unis. Il n'est pas surprenant que les démarches entreprises par les colonies canadiennes, pour la formation d'une union entre elles, aient tourvé une oreille attentive au Bureau des Colonies de Londres.
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Raconte-moi Rogersville...