On ne saurait trouver personne à qui Rogersville est plus redevable qu’à Mgr Marcel-François Richard (1847-1915). Dès le début des années 1870, avant même que le campement qui allait devenir Rogersville eut pris le nom de Forest Station, il fut présent aux premiers travailleurs de l’Intercolonial qu’il desservait personnellement depuis Saint-Louis, ou par ses vicaires, les pères A. W. Vanner, et plus tard, le Père A. A. Boucher. Pasteur infatigable, colonisateur de la trempe d’un Père LaBelle, éducateur éclairé, patriote engagé, il a su, en tant que leur curé, inspirer, soutenir et défendre les paroissiens de Rogersville, de 1885 jusqu’à sa mort en 1915. Mais son zèle ne se limitait pas à sa paroisse : durant toute sa vie, il a été de tous les combats dans lesquels son Acadie était engagée.
Dans les articles qui suivent, nous l’appellerons Père Richard, comme il était connu avant d’avoir été nommé Prélat domestique du pape Pie X en 1905. Il fut une personne aux multiples facettes, de stature physique et morale hors de l’ordinaire. La vénération et la reconnaissance que lui ont vouées la population de Rogersville et ses premiers biographes, les Pères Trappistes Antoine Piana et Gildas, ont sûrement contribué à lui attribuer une réputation presque mythique. De sa première obédience à St-Louis, à son dernier souffle en 1915, sa vie fut une lutte continuelle pour les personnes qui lui furent confiées. Sans ses interventions, que serait devenu Rogersville dans les crises que le village a dû traverser, surtout aux premiers temps de la colonie?
Comme cadre de présentation, nous examinerons séparément et tour à tour, chacun des aspects de cette riche personnalité : le prêtre, l’éducateur, le patriote, le colonisateur, et l’homme d’affaires. Ce qu’il faut réaliser, c’est qu’en posant telle action, ce n’était pas le prêtre seulement qui agissait, et dans telle autre, le colonisateur. Dans chacune de ses actions, c’était à la fois le prêtre, l’éducateur, le patriote et le colonisateur, l’homme d’affaire qui agissait. C’est précisément l’intégration de tous ces axes qui a rendu son action si efficace.
Dans son ministère, il a su se faire « tout à tous », fidèles de langue anglaise aussi bien de langue française, comme en fait foi une pétition adressée à Mgr Rogers par les Irlandais de Barnaby River lorsque coururent des bruits qu’ils pourraient perdre leur curé. Mais son sens aigu de la justice ne lui permettait pas de voir ses compatriotes abusés par les spéculateurs et marchands, dans le domaine temporel, ou ignorés dans les structures de l’Église, sans s’investir entièrement à les défendre.
Il croyait profondément à la Providence, mais à une Providence répondant au travail de l’homme. Il savait par expérience qu’il n’y a pas de récolte sans semailles. « Elle aura de la glaise au doigt, la main de Dieu qui m’ouvrira ses portes, » chante Didier Rimaud. Nul autant que le Père Richard était conscient des limites de son action; mais ni les accusations de ses détracteurs, ni le rejet de son évêque, ne purent ralentir ses efforts à redresser les misères et les injustices dont souffraient ses ouailles.
Raconte-moi Rogersville...