BilanQuel bilan peut-on dresser de ce quart de siècle de collaboration entre Mgr Richard et les Eudistes?
D’abord on pourrait parler de relation d’amitié que Mgr Richard entretint avec le père Blanche dès son arrivée à Church Point, et avec le père Régnault qui fut son vicaire de 1907 à 1914. Ils restèrent en communications même après le retour en France du père Régnault. Le père LeDoré, supérieur général, qui fit trois voyages en Amérique, avait également Mgr Richard en très haute estime. Le missionnaire-colonisateur que fut Mgr Richard avait fondé de grands espoirs sur l’arrivée des Eudistes en Acadie. Il les voyait comme la réponse de la Providence à ses prières et à ses luttes pour la défense des droits des Acadiens. Il rêvait de les voir ressusciter le collège de St-Louis et se charger des écoles de Rogersville. S’il se faisait Eudiste, que de bien ne réussirait-il pas à faire « avec l’aide et la coopération de personnes ayant à cœur l’avancement et le progrès du pays, il me semble qu’il y aurait moyen d’accomplir beaucoup… » Mais l’histoire est tissée de méandres capricieux, et la plupart de ces rêves ne se réalisèrent que partiellement, ou de manière différente que celle escomptée. Dès l’arrivée des Eudistes en Nouvelle-Écosse, les fondations de Church Point et du séminaire de Halifax leur valurent la confiance de l’archevêque, Mgr O’Brien et de tout l’épiscopat des Provinces maritimes. Si père Blanche et le supérieur général de la communauté étaient assez favorable aux projets de Mgr Richard, la prudence dictait à un bon nombre de pères de modérer leur support à Mgr Richard et aux causes acadiennes. On lui reprochait « les défauts de ses qualités »; on disait que chez-lui, « le jugement n’était pas toujours à la hauteur du zèle »; on voyait en lui « l’homme des grandes entreprises qui ne peuvent toutes aboutir, parce qu’elles ne sont pas assez réfléchies et sont trop multipliées ». On disant que « mieux valait ne pas trop paraître ses amis. » Pour toutes ces raisons, il n’était « pas question d’en faire un Eudiste. » Certains déploraient les conditions pitoyables offertes aux divers vicaires que la congrégation lui fournit. Certains pères refusaient même de reconnaître qu’il eut été un bienfaiteur pour la congrégation. Et pourtant, malgré le fait qu’on ne l’acceptât pas dans la congrégation, il aurait quand même accepté de donner ses biens aux Eudistes pour la réouverture du collège de St-Louis. Et une autre fois Mgr Rogers bloqua l’ouverture de ce collège. Bien que cela fut donner le coup de grâce à son collège, il n’hésita pas à faciliter la rencontre des Eudistes avec Mgr Allard, pour la fondation du collège de Caraquet. « Chaque maison ne pense qu’à soi! » déplore père Blanche au conseil général de l’institut en janvier 1903. Malgré ces tiraillements, et les frictions que peuvent comporter toutes relations humaines, les œuvres progressaient, et les conditions des Acadiens s’amélioraient. Les démarches de Mgr Richard pour l’obtention d’un évêque acadien aboutirent à la nomination de Mgr Édouard-Alfred LeBlanc à l’évêché de Saint-Jean, étape préparatoire à la création de l’archidiocèse de Moncton, une vingtaine d’années plus tard. Du côté des Eudistes, les collèges de Church Point et de Caraquet, ainsi que l’œuvre du séminaire de Halifax s’enracinaient et se développaient. Deux incendies détruisirent les collèges de Church Point et de Caraquet. Le juvénat que Mgr Richard aurait bien voulu voir à Rogersville et que père LeDoré avait considéré y construire fut plutôt logé à Bathurst. Lorsque vint le temps de reconstruire les collèges, celui de Church Point fut reconstruit sur place, mais celui de Caraquet fut temporairement transféré au juvénat de Bathurst. Cet édifice devait lui aussi tomber la proie des flammes en 1917. La vie de la Maison des missionnaires de Rogersville fut pour peu dire assez chaotique. Ceci n’empêche pas qu’à partir de ce centre, les missionnaires aient rayonné par toute l’Acadie et même au dehors, durant une douzaine d’années. La maison fut fermée en 1914, et l’administration fut transférée à Bathurst, mais la demande de missionnaires ayant diminué, cette œuvre fut abandonnée quelques années plus tard. S’il fut une époque charnière dans l’histoire de l’Acadie, elle se situe en plein dans la période que nous venons d’explorer. Ce fut l’époque des grandes conventions d’orientation nationale des Acadiens; le temps où les fils de l’Acadie réclamèrent leur tribune au parlement et au sénat; le temps où fleurirent collèges et universités d’où sortiraient de nombreux prêtres, religieux et religieuses, médecins, et professionnels de tous domaines; le temps où perça toute une phalange de leaders qui réveillèrent la fierté du peuple bafoué qui était à se relever; le temps où dut céder la forteresse d’un épiscopat qui bloquait systématiquement à tout prêtre non-anglophone accès à la dignité épiscopale; le temps de colonisation destiné à enrayer l’exode vers les États-Unis; temps où parurent les premiers journaux de langue française en Acadie. Et parmi les artisans de ces réalisations, Mgr Richard, ainsi que la communauté des Eudistes jouèrent un rôle de premier rang. |
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